Coût exorbitant de l’énergie : le cri d’alarme de Sophie Chambost, la patronne de la PME “ Cartonnages de la Turdine”
“Cette hausse de coût de l’énergie rend tout simplement impossible la poursuite de nos activités » ! Avec des centaines d’entreprises, PME consoeurs, nous sommes dans une inquiétude majeure quant à la possibilité d’obtenir de l’électricité en 2023 et de l’obtenir à un prix économiquement viable pour nos entreprises”, explique Sophie Chambost, présidente du directoire de la société rhodanienne (Sarcey) des Cartonnages de la Turdine.
D’où la lettre ouverte ci-dessous transmise au ministère, mais aussi à Lyon-Entreprises :
“Nous, les entreprises oubliées du plan de résilience, demandons aux décideurs politiques un traitement équitable pour éviter à très court terme la destruction de nos outils de production et des emplois de nos territoires.
Au sortir de la crise du Covid, le monde connaît un nouveau péril qui passe pour le moment relativement inaperçu dans ses effets : la crise de l’énergie qui va déferler sur les petites entreprises et les PME françaises. Il est encore possible de les protéger.
Le vice de cette crise, c’est le charabia technique auquel personne ne comprend rien, qui anesthésie le débat national, et qui cache mal la réalité énergétique honteuse d’une grande puissance mondiale.
Si nous, entrepreneurs de PME, n’avons eu d’autre choix, depuis environ un an, que de nous approprier la langue et l’expertise du secteur complexe de l’énergie, l’homme de la rue n’observe la catastrophe à venir que par la lorgnette de sa facture de chauffage subventionnée par la dette. Et qui en voudrait ?
De notre côté, nous avons raisonné parfois par analogie, sur des exemples plus à notre portée, plus proches de notre quotidien. Par exemple, il est très parlant de rapporter les variations du prix de l’énergie à celles du litre de carburant à la pompe. En moyenne, si nous partons d’un prix du litre en
2021 à 1,50 €, nous travaillons actuellement en absorbant un coût de 3 € par litre en 2022, et des perspectives sérieuses tablent sur 8 € le litre en 2023. Par analogie, encore, le mouvement des Gilets jaunes s’était déclenché pour une hausse beaucoup plus faible.
Si l’on préfère s’en tenir à des montants plus concrets, évoquons par exemple cette PME du secteur industriel de 120 collaborateurs confrontée à une évolution brutale de la facture d’électricité de 1,5 M€ (de 300 k€ à 1,8 M€). Cette différence correspond au coût de 25 emplois. Citons également cette entreprise d’usinage de 60 personnes qui va connaître, quant à elle, une augmentation de 500 k€ (de 100 k€ à 600 k€), ce qui représente, cette fois, 8 emplois. Cette hausse de coût de l’énergie rend tout simplement impossible la poursuite de nos activités.
En gestionnaires responsables et scrupuleux de nos établissements, nous avons fini par nous appliquer à suivre l’évolution des kilowattheures, gigawattheures et autres térawattheures. Nous avons même appris ce que sont les marchés spot, l’ARENH, les subtilités géostratégiques et les incertitudes de la guerre, ou enfin à entendre sans grimacer que l’indisponibilité du parc nucléaire français n’était ni prévisible, ni la faute de personne.
Mais dans le fond, ces quantités étourdissantes d’informations ne viennent pas expliquer pourquoi le budget énergie de nos prévisionnels, autrefois relégué en bas de tableau, fait une remontada aussi douloureuse que dangereuse, en tutoyant celui des matières premières ou des ressources humaines.
En quelques mois, nos modèles économiques ont volé en éclats, frappés par la hausse brutale des coûts de l’électricité et du gaz, mais aussi par l’absence de réaction politique forte.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Est-ce que le prochain destin funeste de nos entreprises contributrices nettes au projet France intéresse quelqu’un ? C’est bien la question que nous nous posons en observant des réunions au sommet qui ne délibèrent pas et ne tranchent rien. À ce jour, des effets de seuil terribles décident du sort à venir de nos activités, laissant penser que le choix de nos responsables politiques est de faire jouer la survie du plus apte.
Mais concevoir qu’on puisse disposer ainsi d’entreprises, laisser faire un tri aussi inique, c’est prendre bien des risques. Nos activités sont l’addition d’hommes et de femmes de toutes conditions, de tous horizons, qui se lèvent chaque matin en imaginant bien compter pour quelque chose dans un pays où les entreprises constituent encore un des rares lieux d’intégration et de brassage des gens.
Devrons-nous dire demain, à ces personnes, qu’elles ne comptent pas, qu’elles ne comptent plus, à cause d’une virgule ?
Mesdames et Messieurs les décideurs politiques, nous sommes persuadés que vous ne nous laisserez pas disparaître. Nous sommes convaincus, également, que vous disposez de moyens d’action.
En voici trois, que nous vous suggérons:
Passage du plafond de l’ARENH à 150 TWh jusqu’à 2025, date de fin de l’ARENH.
Augmentation des droits ARENH pour les utilisateurs professionnels.
Extension de l’aide aux très gros consommateurs du plan de résilience à l’ensemble des consommateurs professionnels ayant perdu le bénéfice des tarifs réglementés
(anciennement Tarif Jaune et Tarif Vert) en 2015 parce qu’ils y ont été obligés réglementairement.
Plafonner le prix du KWh rendu sur site client au lieu de créer un plafond virtuel bridant les revenus des producteurs d’électricité.
D’autres solutions sont certainement possibles, et nous serions ravis d’en discuter. Où nous trouver ?
C’est simple : nous sommes partout. Nous sommes les entreprises petites et moyennes devant lesquelles on passe sans les connaître, en ville ou à la campagne, et qui pourtant constituent la colonne vertébrale de l’économie et de la société française. Ce sont ces entreprises qui offrent des services et des produits de proximité, et qui créent l’emploi de chacun dans les territoires.
Mesdames et Messieurs les décideurs politiques, le président de la République et le ministre de l’Économie ont fait part récemment de leur beau souhait de réindustrialiser la France : aidons-les en ne laissant pas détruire ce qui existe déjà et qui compte.”