Marché du travail en Auvergne-Rhône-Alpes : un actif sur huit dans une situation d’emploi contrainte

Derrière un taux de chômage officiellement bas, la réalité du marché du travail en Auvergne-Rhône-Alpes est plus complexe qu’il n’y paraît. Une récente étude révèle qu’un actif sur huit est aujourd’hui en situation d’emploi contrainte dans la région. Une donnée qui interpelle les entreprises, en particulier celles qui peinent à recruter dans un contexte de transformation économique accélérée.
Des chiffres trompeurs : le halo du chômage en ligne de mire
Avec un taux de chômage affiché à 6,5 % fin 2023, la région AuRA se situe parmi les plus dynamiques de France métropolitaine. Mais à y regarder de plus près, ce chiffre masque une autre réalité : plus de 620 000 personnes sont concernées par une forme d’emploi précaire ou d’exclusion partielle du marché du travail. Ces personnes ne sont pas toutes comptabilisées comme chômeuses au sens classique du terme, mais elles sont bien en situation d’emploi insatisfaisante ou d’inactivité involontaire.
Parmi elles, on compte :
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371 000 chômeurs (selon la définition du BIT) ;
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124 000 personnes en situation de sous-emploi (principalement des temps partiels subis) ;
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126 000 personnes dans le halo du chômage, c’est-à-dire souhaitant travailler mais ne remplissant pas toutes les conditions pour être comptabilisées comme chômeuses.
Ce « halo » forme une zone grise qui échappe souvent aux radars statistiques traditionnels, mais qui pèse lourd sur les équilibres sociaux et économiques régionaux.
Des profils variés, mais des risques concentrés
L’étude dresse un portrait précis des personnes en situation contrainte : jeunes, femmes, personnes peu diplômées ou issues de l’immigration sont largement surreprésentées. Ce constat, connu mais rarement quantifié à l’échelle régionale, vient rappeler l’existence d’inégalités structurelles dans l’accès à un emploi stable et de qualité.
Les personnes en situation de handicap ou résidant dans des quartiers prioritaires sont également davantage concernées. Ces publics cumulant souvent plusieurs freins à l’emploi (mobilité, formation, discrimination, santé), ils représentent des opportunités de recrutement encore largement inexploitées par les entreprises.
Les jeunes actifs apparaissent aussi comme une population vulnérable : près d’un tiers d’entre eux (15-29 ans) est en situation d’emploi contraint. Cela interroge sur l’efficacité des dispositifs d’insertion actuels et sur la capacité du tissu économique régional à proposer des parcours pérennes.
Des passerelles instables : l’emploi contraint n’est pas figé
Autre enseignement notable : la fluidité entre les différents statuts. Sur une période de trois mois, la moitié des personnes concernées par le halo du chômage ou le sous-emploi basculent vers une autre situation — parfois vers l’emploi, mais aussi souvent vers le chômage déclaré ou l’inactivité.
Cette instabilité complique la lecture des trajectoires professionnelles et met en lumière la fragilité des équilibres actuels. Pour les entreprises, cela implique une vigilance accrue sur les parcours, et peut également représenter un vivier de talents à intégrer dans des logiques de reconversion ou de formation en situation de travail.
Une opportunité pour les entreprises en tension de recrutement
Dans une région où de nombreux secteurs — industrie, santé, hôtellerie-restauration, BTP — peinent à recruter, cette population invisibilisée peut représenter un réservoir stratégique de compétences. Encore faut-il savoir aller à sa rencontre, lever les freins existants, et adapter ses méthodes de recrutement.
Certaines entreprises pionnières, en lien avec les structures d’accompagnement, l’insertion par l’activité économique (IAE) ou les missions locales, misent déjà sur ces publics. Les résultats sont parfois spectaculaires en termes de fidélisation, de motivation et de montée en compétence. Mais ces démarches restent encore marginales.
Il existe donc un enjeu fort à structurer des passerelles entre le monde économique et ces populations dites « en halo ». Cela peut passer par des contrats d’adaptation, de l’alternance, des immersions professionnelles, ou encore des programmes sur mesure en lien avec les OPCO et les collectivités.
Un rôle clé pour les collectivités et acteurs publics
La Région Auvergne-Rhône-Alpes a multiplié les initiatives pour améliorer l’employabilité des publics éloignés de l’emploi. Des dispositifs de type Pactes Régionaux, aides à la mobilité, ou soutien à la formation sont mobilisés pour lever certains freins. Mais le défi reste immense : il ne s’agit plus seulement de former, mais d’accompagner de manière individualisée, en lien étroit avec les employeurs.
La coopération entre territoires, entreprises et institutions devient ainsi une condition sine qua non pour réduire ce halo. Certaines intercommunalités expérimentent des approches innovantes, comme des guichets uniques pour les recruteurs ou des plateformes de diagnostic partagé.
Repenser la notion même de disponibilité à l’emploi
L’étude soulève aussi une question de fond : dans un monde où les formes de travail se diversifient (auto-entrepreneuriat, slashers, travail fractionné), que signifie vraiment « être disponible pour travailler » ? Une partie des personnes comptabilisées dans le halo du chômage le sont car elles ne sont pas immédiatement disponibles ou ne recherchent pas activement — pour des raisons parfois conjoncturelles (santé, garde d’enfants, accès aux transports…).
Cette réalité incite à repenser les critères d’accès à l’emploi non comme des filtres, mais comme des leviers à activer. Une offre de garde d’enfants, une solution de mobilité partagée ou une souplesse horaire peuvent suffire à rendre employables des personnes qui en étaient jusqu’alors éloignées.
Vers un changement de regard sur les candidats
Cette étude invite les recruteurs à dépasser les CV et les trajectoires linéaires. Les personnes en emploi contraint ne sont pas inemployables, elles sont parfois simplement en attente d’une opportunité adaptée, d’un accompagnement personnalisé, ou d’un environnement plus inclusif.
Adopter une approche par les compétences plutôt que par le diplôme ou le parcours peut s’avérer payant. Le développement de la VAE, des formations en situation de travail (AFEST), ou encore des incubateurs sociaux sont autant de pistes à explorer pour valoriser ces profils dits « atypiques ».
Une photographie utile dans un contexte de transitions multiples
Dans un contexte de transition écologique, de vieillissement démographique et de réindustrialisation, l’inclusion des publics en halo du chômage devient un enjeu de performance économique autant que de cohésion sociale. L’étude régionale agit ici comme un signal d’alerte mais aussi comme une invitation à l’action collective.
En faisant le choix de documenter ces situations de manière fine, les acteurs régionaux disposent désormais d’un outil précieux pour orienter leurs politiques RH, leurs choix de formation ou leurs stratégies d’ancrage territorial.