LE 49-3 : LA DICTATURE EN DEMOCRATIE ?
L’article 49 de la Constitution de 1958 appartient au Titre V traitant : « Des rapports entre le Parlement et le Gouvernement » (articles 34 à 51). Il organise la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement.
Dans son alinéa 3, il met à la disposition du Gouvernement une particularité originale et puissante, visant à maintenir une stabilité gouvernementale qui avait tant fait défaut à la IIIème République. Petit rappel citoyen.
KOIKESSE le 49-3 ?
L’article 49 de notre constitution comprend 4 alinéas (ou paragraphes) :
- 1- l’engagement de responsabilité sur un programme (dit aussi « question de confiance ») à l’initiative du gouvernement ;
- 2- la motion de censure à l’initiative de l’Assemblée nationale ;
- 3- l’engagement de responsabilité sur un texte, qui permet au gouvernement de forcer l’adoption d’un texte, sauf si l’Assemblée est prête à le renverser (le gouvernement, pas le texte …) ;
- 4- la possibilité pour le gouvernement de demander l’approbation de sa politique par le Sénat, cette dernière ou son refus éventuel étant dépourvus d’effets juridiques.
C’est le troisième alinéa qui nous intéresse aujourd’hui, du fait de sa récente actualité à propos de la loi Macron.
QUE DIT L’ARTICLE 49-3 ?
« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Cet article est considéré par beaucoup comme anti-démocratique. Il n’est, depuis 2008, utilisable que pour un « projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale », et une fois par session parlementaire pour un autre projet ou proposition de loi.
Soulignons que la Constitution Française de 1958 a consacré la primauté du pouvoir exécutif, en réaction aux abus répétés du pouvoir législatif (Le Parlement) sous les constitutions précédentes. Ainsi, les origines de l’article 49.3 se retrouvent dans la volonté d’une forme de stabilité gouvernementale que le les rédacteurs de la Constitution ont considérée comme fondamentale à la durabilité de leur texte … ce que les décennies écoulées depuis 1958 ont bien confirmé !
COMMENT ÇA MARCHE ?
A l’occasion du vote d’un projet de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du Gouvernement. Dans ce cas :
- L’utilisation de l’article 49.3 fait l’objet d’une délibération préalable en Conseil des ministres, l’autorisant à utiliser la procédure prévue à cet article. Elle est, donc, « préméditée ».
- Le projet de loi, après l’engagement de responsabilité par le Premier Ministre, est réputé adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée Nationale, soit par 58 députés actuellement (pour 577 députés au total).
- si aucune motion de censure n’est déposée, le projet est considéré comme adopté ;
- si une motion de censure est déposée, elle est discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées par les députés. Quarante-huit heures séparent le dépôt de la motion de censure de sa discussion. Ce délai se justifie pour permettre au Gouvernement de convaincre d’éventuels indécis et aux députés de se prononcer dans la sérénité. Le règlement de l’Assemblée nationale précise que le débat et le vote ne peuvent avoir lieu plus de trois jours de séance après l’échéance de ces 48 heures. Ceci permet d’éviter que la motion ne soit jamais inscrite à l’ordre du jour.
- La motion de censure doit réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit aujourd’hui 289 voix. Seules les voix « pour » comptent. Les députés qui s’abstiennent ou ne prennent pas part au vote sont réputés soutenir le Gouvernement. En cas d’adoption d’une motion de censure, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son Gouvernement (art. 50 de la Constitution).
- En cas de rejet de la motion, le projet est considéré comme adopté. C’est ce qui s’est passé pour la loi Macron.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la responsabilité du Gouvernement ne peut être engagée que sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale et sur un seul autre projet (ou proposition) de loi au cours d’une même session parlementaire. Auparavant, le Gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu’il l’estimait nécessaire et quelle que soit la nature du texte.
La mise en œuvre de l’article se fait, donc, en trois temps. D’abord, la délibération du Conseil des ministres. Ensuite l’engagement de responsabilité proprement dit, par le Premier ministre, en séance à l’Assemblée nationale. Éventuellement, le dépôt d’une motion de censure et son vote.
Une fois la décision prise par une délibération du Conseil des Ministres, le Premier ministre est libre, en séance à l’Assemblée nationale, d’engager la responsabilité du gouvernement au moment qu’il juge opportun, et seulement s’il le juge opportun. Il doit le faire en personne. Il peut le faire dès la présentation du texte, écartant tout débat.
Assez fréquemment, il laisse le débat s’engager et éventuellement le texte être amendé. Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit la réserve d’un amendement par le Gouvernement, c’est-à-dire d’en repousser la discussion à plus tard (article 95). Si l’engagement de responsabilité a lieu entre-temps, cette discussion n’aura pas lieu.
Le gouvernement peut ainsi écarter les amendements qu’il ne souhaite pas, mais qui pourraient avoir la faveur de l’Assemblée et aussi ceux qui sont déposés dans un but de ralentissement du processus législatif. Lorsque la responsabilité est effectivement engagée, il n’est pas possible de revenir sur les dispositions adoptées auparavant. Le texte sur lequel l’engagement a lieu peut par contre reprendre des dispositions repoussées. Il peut aussi contenir des amendements par rapport au projet initial, qu’il s’agisse d’amendements du gouvernement ou d’amendements d’origine parlementaire que, seul, le gouvernement choisit de retenir. L’engagement de responsabilité peut aussi ne porter que sur une partie du texte, auquel cas la discussion se poursuit normalement sur les articles restants.
UN PEU D’HISTOIRE
Au 17 février 2015, la procédure de l’article 49.3 a été utilisée 83 fois depuis 1958 par les premiers ministres successifs.
Le 49.3 a été conçu alors que le Parlement avait le plus souvent été partagé entre des partis nombreux et de surcroît peu disciplinés. L’usage du 49.3 a été variable depuis 1958. Il est d’abord peu fréquent au début de la Vème République puis tend à être plus largement utilisé par certains gouvernements qui ne disposaient à l’Assemblée nationale que d’une majorité très étroite (gouvernements Barre, Rocard, Cresson et Bérégovoy notamment). Après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 son rôle d’arme ultime contre l’obstruction (par le fait d’un nombre importants d’amendements) décline naturellement : l’Assemblée Nationale, habituellement majoritairement du même bord que le Gouvernement, ne vote pas la destitution du gouvernement même s’il s’oppose à la loi en cause car il craint une forme de suicide politique face aux électeurs.
Cet article a, essentiellement, été utilisé pour 3 raisons :
- accélérer un débat qui se prolonge, pour se conformer à un calendrier gouvernemental ou lorsque l’opposition multiplie à l’infini les propositions d’amendement, alors que le gouvernement dispose d’une réelle majorité. Le gouvernement intègre les amendements qu’il juge les plus sérieux et intéressants et lance la procédure du 49.3 ;
- passer outre la fronde d’une partie récalcitrante de sa majorité. Cela permet de mesurer réellement la persévérance de cette fronde et de l’obliger à prendre ses responsabilités et à s’allier le cas échéant à l’opposition. Avant Manuel Valls, Raymond Barre utilisa cette procédure 8 fois, entre 1976-1981, contre les députés RPR ;
- passer outre les contraintes d’une majorité relative. Michel Rocard, grand champion du 49-3, l’utilisa 28 fois pour faire passer ses textes, alors qu’il n’avait pas de majorité stable.
Pour le texte intégral de l’article 49 de la Constitution :
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