Chusclan accueille newcleo : quand la filière nucléaire mise sur l’innovation… sans atome
Newcleo, entreprise européenne spécialisée dans les réacteurs de quatrième génération, vient d’annoncer l’acquisition d’un terrain à Chusclan (Gard) pour y implanter un centre d’innovation et de formation. Ce projet, baptisé FASTER, entend devenir une vitrine technologique et pédagogique pour accompagner le développement d’un combustible nucléaire de nouvelle génération. Mais derrière l’élégance de la forme, que dit le fond ?
Alors que la relance du nucléaire en France cristallise débats politiques, inquiétudes sociétales et ambitions industrielles, un acteur relativement jeune mais ambitieux avance ses pions de manière stratégique. Fondée en 2021, la société newcleo s’est donné pour mission de « fermer le cycle du combustible nucléaire » grâce à des technologies de génération IV refroidies au plomb liquide. En clair : recycler les matières radioactives pour produire une énergie plus propre, plus sûre et quasi inépuisable.
La dernière annonce en date ne concerne pourtant ni un réacteur ni un site de production : newcleo vient d’acquérir un terrain à Chusclan, à deux pas du site nucléaire de Marcoule, pour y bâtir un centre à vocation non nucléaire. Un paradoxe ? Pas forcément.
Un campus technologique sous le signe du design
Baptisé FASTER, acronyme de Fuel process Assembly Storage Training and Enhanced Reality, ce site aura pour vocation de former, concevoir, tester et préfabriquer dans un environnement totalement exempt de matières radioactives. L’objectif est clair : préparer le terrain technologique, humain et organisationnel pour le déploiement futur de la ligne pilote de fabrication de combustible innovant.
Avec une capacité d’accueil de 100 collaborateurs, ce centre intégrera des infrastructures dernier cri : simulateurs, réalité augmentée, impression 3D, maquettes d’équipements, ateliers de qualification… Une panoplie digne d’un campus de pointe. Et pour couronner le tout, c’est le célèbre designer italien Pininfarina – connu notamment pour ses collaborations avec Ferrari – qui en assurera le design architectural.
Une question mérite toutefois d’être posée : cette esthétique soignée et ce discours centré sur la pédagogie technologique ne seraient-ils pas une manière d’adoucir l’image d’un secteur encore très clivant dans l’opinion publique ?
Une implantation symbolique et stratégique
Le choix de Chusclan n’est pas anodin. Située dans le Gard rhodanien, la commune bénéficie d’une proximité immédiate avec Marcoule, haut lieu du nucléaire français, tout en restant en dehors du périmètre sensible des installations existantes. La région Occitanie, historiquement liée aux industries de l’atome, se positionne comme un maillon clé de la relance industrielle française.
Pour autant, newcleo insiste : FASTER ne sera pas une installation nucléaire. Aucun atome ne sera manipulé, aucune autorisation de sûreté nucléaire n’est requise. L’entreprise entend ainsi éviter les lourdeurs administratives tout en capitalisant sur un écosystème local riche en compétences et infrastructures.
On peut y voir une stratégie fine : en s’insérant dans le tissu industriel local, sans les risques d’image liés au nucléaire actif, newcleo se donne les moyens d’ancrer durablement son projet dans le territoire.
Un projet à haute ambition… mais encore flou ?
Dans un communiqué enthousiaste, Stefano Buono, PDG de l’entreprise, évoque un site « immersif de type test and learn », un « environnement optimisé pour la recherche et la formation », et un « centre structurant » pour leur ligne pilote. Pourtant, plusieurs questions demeurent :
- À quel horizon ce site sera-t-il opérationnel ?
- Quelle place exacte occupera-t-il dans la chaîne industrielle de newcleo ?
- Et surtout, où sera localisée la fameuse ligne pilote de fabrication de combustible, cœur névralgique du projet industriel ?
À ce jour, newcleo ne donne pas de précisions sur la localisation de ce futur site stratégique, évoquant simplement « un autre site en France ».
Un acteur privé ambitieux… et encore peu connu
Derrière cette annonce se dessine aussi un changement de ton dans la communication du secteur nucléaire. Là où les grands opérateurs historiques comme EDF restent très institutionnels, newcleo adopte une approche plus contemporaine, presque start-up. Design, formation immersive, innovation… tout semble fait pour séduire aussi bien les investisseurs que les jeunes talents.
Avec un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros en 2024, plus de 500 millions d’euros levés en fonds privés, et une équipe de plus de 1 100 collaborateurs répartis entre la France, l’Italie, le Royaume-Uni, la Suisse et la Slovaquie, l’entreprise affiche de grandes ambitions. Elle se positionne clairement sur le segment des petits réacteurs modulaires (SMR), perçus par certains comme l’avenir du nucléaire.
Mais face à ces promesses, la réalité industrielle reste à construire. Aucun réacteur newcleo n’a encore vu le jour. Et comme toute technologie émergente, la route est longue entre prototype et production.
Un projet pilote… pour l’image ?
Le centre FASTER de Chusclan ne produira ni électricité ni combustible. Mais il produira autre chose : une image. Celle d’un nucléaire modernisé, technologique, épuré de ses stigmates passés. Pour la région, il s’agit aussi d’une opportunité : attirer des compétences, renforcer un écosystème, miser sur une filière à fort potentiel… à condition que le projet suive réellement la trajectoire annoncée.
Reste à voir si ce centre sera un levier de transformation industrielle ou un simple étendard d’un avenir encore incertain. En matière d’atome, la prudence reste toujours de mise, même quand il n’y en a pas.