Relance économique : faisons feu de tout bois !
Par Alain Malégarie, ancien directeur de l’Institut de l’Euro à Lyon
Les plans de relance et de sauvegarde se suivent et se complètent. Exploitons les tous ! Profitons de l’aubaine, pour sauver l’économie et les emplois. L’UE a été innovante et volontaire, prenant des orientations que l’Histoire jugera mais qui semblent ambitieuses, inédites et nécessaires pour l’avenir européen.
En effet, jamais, depuis 1945 ou depuis la crise de 2008, on avait “donné” autant d’argent pour relancer une économie arrêtée, et sauver le plus d’emplois possible. Les milliards d’euros pleuvent depuis quelques mois, mesures après mesures, quelles soient nationales ou communautaires. A un point tel que nombre de citoyens européens se posent une question toute simple: “d’où vient tout cet argent” ? Et, faute de transparence par défaut de communication et silence absolu des media, une telle question, sensible, sans réponse, peut très vite devenir embarrassante. Paradoxe, car chacun devrait se réjouir, au contraire, de ces mannes, d’autant que l’on se plaignait, depuis des décennies, des faibles budgets de l’UE ! Moi le premier, d’ailleurs.
Alors qu’il suffirait d’expliquer simplement qu’il ne s’agit pas, ou peu, de création “pure” de monnaie, mais plutôt de stabilité financière, de solidarité, de “garantie” (ou couverture), de la part des Etats riches, envers les prêts contractés par les Etats pauvres, ce qui fait immédiatement baisser leurs taux d’intérêt usuraires, puisqu’ils redonnent confiance à leurs bailleurs de fonds. L’exemple grec est parfait à ce sujet.
Et les dispositifs majeurs s’intitulent Mécanisme européen de stabilité (MES), créé en 2012, et bien sûr le fameux “plan de relance” de 2020, inédit, et qui devrait être voté au Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement) des 17 et 18 juillet 2020, grâce au revirement allemand.
En fait, il n’y a pas vraiment de différence de nature entre ces deux processus, si ce n’est l’ampleur du second. Ils visent tous deux la même logique -ou réparation- : assister et aider les pays en difficulté à se financer, pour se relancer économiquement, et/ou pour payer moins cher leur dette (souvent abyssale).
Dans l’ordre chronologique, le Mécanisme Européen de Stabilité, qui a remplacé le Fonds européen de stabilité financière, a été créé en plein naufrage consécutif à la crise financière puis économique aimablement exportée par nos amis américains (subprimes)…
Tous les pays européens furent touchés, mais à des degrés divers. La Grèce, l’Espagne (avec en prime sa crise immobilière terrible !), le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la France furent les plus atteints. Toujours les mêmes : même comportements, mêmes effets. (pays “cigales”, dépensiers sur le fonctionnement, beaucoup moins sur de l’investissement productif…).
Le MES est rentré en vigueur en septembre 2012, mais a finalement été peu utilisé. Il ne concerne en outre que la zone €, et principalement – mais pas exclusivement – les pays les plus fragilisés, à savoir les Etats cumulant les problèmes -comme toujours- ayant pas ou peu de croissance, les plus cigales, les plus dépensiers, les moins exportateurs, avec un fort taux de chômage quand tous les autres pays européens sont seulement entre 3 et 6 % de taux de chômage !! Ceux que l’on appelle aussi les “pays du Sud”. Sans vouloir l’accabler, je cite souvent la Grèce, qui est en déficit structurel et en difficulté économique depuis…1921 ! Avec quelques périodes de rémission, hélas peu nombreuses et surtout trop courtes.
La France aussi a basculé malheureusement dans les pays du Sud, et d’ailleurs Bruno Le Maire l’a implicitement confirmé, en réclamant avec force, depuis le mois de mars de cette année, que des Etats, dont la France, demandent l’aide du MES, en plus de tous les dispositifs du plan de relance, de la BCE (Banque centrale européenne), de la BEI (Banque européenne d’investissement)… C’est dire à quel point Bercy appréhende la sévère récession économique de l’automne et l’explosion du chômage.
S’il a le même objectif et la même thérapie, le MES n’a pas, par contre, les mêmes méthodes (rudes). Et ses conditions sont drastiques, donc contestées…Car l’accès à ce mécanisme est conditionné à l’adoption, par les pays bénéficiaires, d’un programme d’ajustement de la dette souveraine, de réformes structurelles profondes et immédiates, le tout surveillé par ce que l’on a vite baptisé péjorativement “la Troïka”, à savoir la Commission européenne, la BCE et le FMI. Et les eurosceptiques s’en sont donnés à coeur joie, plusieurs médias aussi, pour dénoncer la “fin de la souveraineté nationale” et des remèdes socialement trop contraignants. Attitude surprenante, d’ailleurs, car si le pays en faillite n’a aucun soutien, aucun plan pour s’en sortir, quelle sera sa “souveraineté”, lorsqu’il devra, de toute façon, emprunter pour finir ses fins de mois ? Quel sera alors son poids, sa crédibilité, face aux prêteurs du monde entier ? Et à quel taux, si ces prêteurs ne lui font pas confiance ?
A contrario, on n’entend personne, aujourd’hui, dire que la Grèce, certes après une grosse purge, est redevenue autonome sur sa demande de titres d’emprunts, et à des taux acceptables et raisonnables (4 à 5 % su 15 ans) au lieu de…23% en 2010 !
Autre différence avec l’actuel plan de relance, la structure : le MES est une institution financière, dotée d’un Conseil d’administration et d’un Conseil des Gouverneurs, comme la BCE ! Mais ce sont les Etats de la zone € qui le pilotent, abondant son capital au prorata de leur puissance en PIB (comme la BCE). On retrouve donc logiquement l’Allemagne avec 27% des parts, puis la France avec 20%, l’Italie 17%, etc. Les deux premiers Etats cités disposent donc d’un droit de veto dans ses décisions. Les Etats décident donc d’accorder ou non à l’Etat en difficulté une aide financière.
Le MES a été une révolution en 2012, c’est un mécanisme certes sévère, mais il a contribué à sortir la zone euro de la crise, sans même être actionné. Des Etats comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne ont appliqué les mêmes “potions” sévères du MES sans même qu’il soit déclenché, à savoir réformes drastiques, dépenses réduites. Ils sont redevenus autonomes auprès des marchés financiers mondiaux et la confiance est revenue, abaissant vite leurs taux d’emprunt.
Depuis 2012, on note d’ailleurs une réelle auto surveillance des Etats fragiles, du “Sud”, et des auto régulations jusqu’à la…Covid-19, qui, circonstance oblige, a rompu les digues, décuplé les dépenses, explosé les règles budgétaires de Maastricht (déficit et dettes publiques) pour un “certain temps” non borné…Au point que le MES revienne sur le devant la scène (sur l’insistance de Bruno Le Maire) pour obtenir encore plus de financement pour se relancer.
En rassurant les marchés (prêteurs), le MES peut mobiliser énormément de ressources et émettre de la dette 3 à 4 fois supérieure à celle du pays bénéficiaire, à un taux d’intérêt plus avantageux du fait de sa solidité. Et ce jusqu’à 700 milliards €.
Le plan de relance de mai 2020, initié par la résurrection du “couple” franco-allemand ” (les Allemands préfèrent parler de “tandem” ou de “moteur”) qui sommeillait depuis la naissance de l’euro, est ambitieux et inédit sur le plan financier mais aussi plus visionnaire sur la relance de l’UE, bousculant des dogmes et se voulant plus volontaire pour un renouveau européen. L’Italie et l’Espagne l’ont adopté immédiatement, ce qui représente, à quatre pays les plus importants, largement plus de 50% pour la démographie et le PIB de l’Union. Ils sont donc incontournables.
A noter le revirement spectaculaire et heureux de l’Allemagne au sujet de la mutualisation des emprunts et peut-être, demain, des dettes. Le poids de l’Allemagne aidera à convaincre les pays fourmis ou frugaux tels que l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas. Sans l’appui de l’Allemagne, la cause était perdue…
Jean Monnet disait souvent que l’Europe avançait dans les crises. On en a encore une belle démonstration, et ce plan s’il passe pourrait même n’être qu’un début (effets de levier). Fin de la procrastination de nos dirigeants frileux ?
Par rapport au MES, ce plan de relance de 750 milliards € est un symbole fort, politique, à l’égard des citoyens européens. D’abord, ce plan, cette fois, s’adresse à toute l’UE, en fait à tous les pays fragiles de l’UE, et pas à la seule zone euro comme le MES.
Ensuite, on évolue – prudemment – vers un processus de type fédéraliste : désormais c’est la Commission européenne qui pourra emprunter sur les marchés mondiaux, en son nom. Donc là, c’est clair, on franchit une étape, c’est de la mutualisation d’un emprunt européen. En attendant la mutualisation des dettes souveraines, un jour ?
Cet emprunt européen sera évidemment garanti par les pays riches, et distribué aux pays pauvres. Donc l’Allemagne, et les pays riches, du Nord, n’en profiteront pas. Et la France, du Sud, très peu, car il y a plus malheureux, à l’Ouest et l’Est !
La Commission sera encore plus stable et reconnue que les Etats, donc elle empruntera à la terre entière à des taux très faibles, voire négatifs. Et c’est fou ce qu’il y a comme prêteurs dans le monde, du côté de l’Asie entre autres…Ils cherchent des “bons” emprunteurs, fiables, sérieux, solides. L’UE en fait partie, heureusement. Nos niveaux de vie seront donc garantis !
Enfin, quand on “épluche” le plan de relance et tout ce qu’il prévoit ou souhaite, souvent en symbiose entre Commission et Parlement (ce qui est capital), on pourrait enfin avancer vers un début de commencement d’harmonisation fiscale, un salaire minimum européen, un assouplissement de règles des aides d’Etat, de la politique de concurrence, d’augmentation du budget (de 1 à 2 % ?), une vraie industrie européenne, un développement des fusions industrielles stratégiques, comme PSA-FIAT- Chrysler (on a loupé la fusion Alstom-Siemens !!); sans oublier l’absolue priorité de la Commission et du Parlement, avec le Pacte Vert (Green deal), avec des quotas d’émissions et la fin de la naïveté européenne en conditionnant nos accords et échanges commerciaux avec les plus grands pollueurs (Chine, USA..) selon nos règles, les plus avancées sur le plan environnemental. Beaucoup de choses, allant dans le bon sens, sont donc sur la table grâce à ce plan, y compris la protection des frontières extérieures de l’Union, sur le plan des normes sur les marchandises importées !
Ce plan de relance de 750 milliards € représente 4,5 fois le budget (certes indigent) de l’Union, mais il va très au-delà. Ces emprunts communs ressemblent à des “eurobonds”, dossier encalminé depuis dix ans… On les appellera peut-être “Coronabonds”, pour marquer cette année 2020 historique.
Le MES fut créé en urgence et dans la douleur en 2012. Mais le plan de relance me semble bien mieux pensé, plus (trop?) ambitieux; plus diversifié. Il reste à espérer que les Pays-Bas ou autre ne bloqueront pas ces opportunités historiques au prochain Conseil européen de juillet. Heureusement que l’on a, désormais, l’Allemagne avec nous !
Certes les dettes publiques vont encore s’accroître, à cause de ces prêts massifs dans des pays fragiles.
Mais les taux d’intérêt seront encore plus bas, voire négatifs. Et puis, de toute façon, une récession européenne serait bien pire sur un plan social et politique, multipliant l’avènement de gouvernements populistes. En France aussi…
Cette année 2020 a commencé par un cauchemar sanitaire. Mais l’Europe a su profiter du contexte en proposant de faire un grand pas en avant, “secouant le cocotier”. Confirmant l’adage ” à quelque chose, malheur est bon”! Il reste à transformer – et vite – l’essai !
Aux citoyens d’y veiller, aussi. Plus personne, en démocratie, ne saurait ignorer l’opinion publique.
C’est notre force, ne l’oublions jamais…
Alain Malégarie