Samuel Triolet : «Le Grand Lyon a pris beaucoup de retard dans l’économie numérique »
Le Rezopole ? Cette infrastructure dont l’objet est de doper les flux Internet est resté dans l’ombre, mais il a permis à bon nombre d’entreprises des TIC de développer leurs activités dans le Grand Lyon. Il fête cette semaine ses dix années d’existence. Et développe désormais ses activités dans toute la région Rhône-Alpes : à Saint-Etienne, Roanne, Valence et bientôt Grenoble… A cette occasion, son directeur, Samuel Triolet, qui, à 41 ans, est déjà un vieux routier du l’économie numérique, pousse un cri d’alarme : le Grand Lyon est en train de perdre du terrain en matière de haut débit et d’attractivité pour les entreprises des TIC. En revanche, engagé dans un ambitieux programme, le département de l’Ain est en train de capter à son profit, de nombreux opérateurs de l’Internet.
Lyon-entreprises-Vous êtes depuis six ans directeur du Rezopole, après en avoir été le président. A quoi sert cette association inconnue du grand public, mais au rôle pourtant essentiel ?
Samuel Triolet-A l’origine du Rezopole, on trouvait, il y dix ans, une association qui s’appelait Lyonix. Il s’agit d’un nœud d’échange, un « Gix » (Global Internet Exchange) permettant d’accroître de manière importante le trafic sur la Toile. Pas de Gix, pas d’Internet, on ne peut être que consommateur, pas acteur. Sans Gix pas d’entreprises œuvrant dans les TIC (*) et même dans d’autres secteurs.
Comment ça marche ?
Il faut comprendre que l’utilisation du Web, c’est un problème de vitesse, de délais d’acheminement des données. Prenons une comparaison automobile. Si entre Lyon et Grenoble, vous avez une autoroute à six voies, ce n’est pas pour rouler au pas, cela n’aurait guère d’intérêt. Or, si pour communiquer de Lyon avec Saint-Etienne, on est obligé de passer par Paris ou New-York, il est évident que les délais seront longs et la vitesse lente.
Et concrètement ?
Nous installons ce que l’on appelle des multiprises réseaux qui coûtent a minima 100 000 euros et qui permettent d’offrir de considérables capacités d’échanges à partir du Grand Lyon. Nous avons actuellement quatre points de présence dans le Grand Lyon : un à la Doua et trois autres chez SFR à Vénissieux. Sans le Rézopole, par exemple, la société de e.commerce LDLC. com n’aurait jamais pu connaître l’intense développement qui a été le sien. Chaque jour, un million d’adresses internet passent par nos infrastructures. Nous fournissons également une multitude de petits services (échanges de gros fichiers, de téléconférences à 20 ou 30, etc.)
Quelle est la structure du Rezopole ?
Contrairement à d’autres structures similaires en France, nous sommes toujours, comme à l’origine, une association regroupant des individus et non de personnes morales. Nous avons à ce jour cinquante entreprises adhérentes qui utilisent nos services : de LDLC, à Sanofi-Pasteur, aux Ciments Vicat, mais aussi le gros data center (*) de l’Urssaf, etc. Et nous intégrons chaque mois un ou deux nouveaux membres. Nous somme six salariés. Nous fonctionnons 24 h sur 24 avec un budget de 500 000 euros par an, financé pour moitié par nos ressources propres et pour moitié de subventions, émanant notamment du Grand Lyon.
Vous fêtez vos dix années d’existence. Quels sont désormais vos objectifs ?
Les besoins ne sont pas seulement lyonnais, mais rhônalpins. A la demande du Conseil régional, nous sommes en train d’essaimer dans la région, pour créer d’autres Gix, ces indispensables nœuds d’échanges des données sur Internet. Nous avons déjà créé Saintetix à Saint-Etienne, Roannix, à Roanne, ADNix (Ardèche Drôme Network) à Valence. Grenoble devrait suivre d’ici la fin de l’année. On estime que les flux sur la Toile devraient être multipliés par trois dans les cinq ans à venir : il faut pouvoir y répondre.
Plus globalement, pensez-vous que le Grand Lyon soit suffisamment outillé pour répondre au développement de l’économie numérique ?
Non, il y a encore beaucoup de choses à faire, si on nous compare à Paris. Nous n’avons pas ni 3G, ni Wi-fi dans le réseau métro des TCL, ni dans aucun parc ou bâtiments publics. Le réseau de fibres optiques est largement insuffisant. Une seule élue, débordée, s’occupe de la Mission numérique du Grand Lyon : nous accumulons du retard. Ce n’est pas favorable à l’implantation d’entreprises des TIC qui souvent vont voir ailleurs. Ainsi on n’a pas répondu pendant longtemps à la volonté d’implantation de grands data-centers, ces grands centres de traitement de données composés d’ordinateurs et d’équipements de communication, en disant qu’ils n’étaient pas pourvoyeurs d’emplois. C’est faux. Et maintenant, ils vont dans l’Ain.
Pourquoi l’Ain ?
Parce que ce département est moteur. Il a développé une politique d’infrastructures dynamiques à travers son syndicat d’électrification avec cet objectif : que tous les abonnés à l’électricité soient connectés au très haut débit grâce à la fibre optique. Résultat : trois data-centers sont en train de s’installer dans ce département qui est en train d’aspirer beaucoup de projets !
Que va-t-il se passer au cours de ce 10ème anniversaire ?
Nous recevons notamment les représentants du réseau européen des Gix, soit une soixantaine de pays.
Votre espoir ?
Que le Davos du Web, WWW2012 qui se déroule pour la première fois à Lyon, l’année prochaine, serve de prise de conscience aux élus qu’il faut investir vite et fort dans les infrastructures numériques. Une partie des emplois de demain sont là !
(*) Technologies de l’Information et de la Communication.
Photo (DR) : Samuel Triolet, directeur du Rezopole.