Bertrand Dufour, cabinet d’expertise comptable RSM : « Pour nous l’ubérisation de notre profession est plutôt une chance »
Expert-comptable associé chez RSM, Bertrand Dufour a l’ADN digitale. Au sein du réseau il pilote, forme, anime la numérisation de ses collaborateurs. La métamorphose de la profession est engagée et il y contribue activement.
Quelques mots pour présenter RSM ?
Bertrand Dufour – RSM est un réseau d’expertise comptable et d’audit, présent en France avec 700 collaborateurs, 70 associés, 70 millions d’euros de chiffre d’affaires, membre du 7ème réseau mondial d’audits et d’expertises.
Pour ce qui me concerne, mes précédentes expériences dans différents cabinets et auprès de différents clients m’ont conduites à la fois vers le digital et l’international. Ces deux secteurs ont pour point commun, le besoin de traduction. L’international nécessite de travailler avec des cultures différentes, des langages différents ; on a un besoin d’homogénéisation pour une bonne compréhension de toutes les parties.
Dans le digital, on a besoin d’une liaison entre une direction comptable, une direction commerciale, une direction générale et une DSI. On a un vrai rôle de compréhension et de traduction des besoins de chacun pour s’assurer que tout le monde parle bien de la même chose.
Un de nos premiers enjeux est de travailler sur une donnée reconnue et caractérisée par tous pour éviter qu’en fin d’année des conflits apparaissent entre chacun de ces éléments qui ne comprennent pas de quoi il est question, chacun ayant sa vision et sa source de données.
Le but est d’éviter que la donnée soit une source d’exaspération, mais une source de développement et de capacité de décision.
C’est cette logique que l’on s’attache à reproduire chez bon nombre de nos clients. En particulier pour des sociétés de e-commerce dans lesquelles tout est dématérialisé à commencer par la donnée qui n’existe pas de manière concrète et à qui il faut donner un caractère d’existence.
Comment un expert-comptable voit-il l’entreprise du futur ?
L’entreprise du futur est une entreprise qui est déjà dans ce quotidien. La dématérialisation et l’ubérisation sont des mouvements qui sont plus qu’engagés et les entreprises, nos clients et nous-mêmes, sommes déjà dedans.
L’entreprise du futur est une entreprise qui a déjà conscience de ce changement de paradigme et plutôt que de se lancer tête baissée dans une révolution, l’entreprise du futur est l’entreprise qui aujourd’hui, va avoir le courage de faire le bilan pour construire ensuite sa roadmap qui, sans être un business plan à quinze ans, lui permettra de s’interroger sur comment faire mieux pour ses collaborateurs et ses clients.
Quels sont vos projets numériques ?
Au niveau de notre réseau, nous sommes 11 bureaux sur 5 implantations avec 700 collaborateurs. Nous avons mis en place un comité digital qui réfléchit comment faciliter dans un premier temps la communication digitale. C’est à dire, l’échange et le partage de Bests Practices, la capacité à se remettre en question les uns les autres de façon bienveillante, et à remonter de bonnes idées.
Il ne s’agit pas là d’un simple intranet qui n’en serait que l’outil ; il s’agit là de s’inscrire dans une logique collective et fédératrice en participant à des événements tel que celui d’aujourd’hui qui permettent au cabinet de montrer ses ambitions et de les partager avec les autres participants. De permettre aux uns de capitaliser une expérience au profit des autres.
Une des caractéristiques de l’entreprise du futur est d’être une entreprise dans laquelle tous les collaborateurs ont cette capacité de faire de ces enjeux les leurs. Non, dans notre conception et contrairement à d’autres, le numérique n’est pas réservé aux happy few bien souvent nouveaux arrivants qui, par ailleurs, ont aussi la capacité à énerver les autres. En fait, la question n’est pas de savoir quel outil, il faudra utiliser demain.
La vraie question est de savoir ce qu’il va se passer et comment les collaborateurs vont pouvoir suivre quand on va changer l’outil. Aujourd’hui, les profils sont très variés et nous avons besoins de rassembler tout le monde, même les plus réticents au changement.
Un cas concret de projet numérique, avec ses réticences et ses succès ?
La conduite du changement dans un cabinet d’expertise comptable. Par nature, c’est un public qui est très réticent au changement. Ce projet consiste à former les personnels sur l’automatisation de la comptabilité.
On s’intéresse précisément aux flux de données pour pouvoir les mettre directement en comptabilité sans avoir à passer par le papier. Le meilleur exemple est celui de l’entreprise de e-commerce qui ne génère aucune donnée papier. Que ce soit de son fournisseur duquel il ne recevra que des données codées ou de lui même vers ses clients ou ses partenaires bancaires, etc.
Le but est de prendre de la distance par rapport à la donnée pour s’intéresser à ceux qui l’utilise, le dirigeant. En s’intéressant au dirigeant, on s’intéresse à ce qu’il attend de la donnée. Nous sommes très loin de l’aspect purement réglementaire auquel parfois on nous cantonne. A ce stade, on est plus proche du métier d’informaticien. Ce qui n’est pas au goût de tous. Accepter d’entrer dans un schéma différent, même quand c’est clairement pour son bien ou pour celui de son client n’est pas chose acquise. C’est typiquement un point sur lequel on rencontre de vraies difficultés.
Notre process est complexe parce qu’il n’est pas fondé sur le ROI (NDLR : le retour sur investissement). Je me réconforte en observant que chez certains de nos clients, un léger changement d’approche se traduit dans les fait, par un total changement de dimension.
Nous sommes maintenant régulièrement conviés à des comités stratégiques, des comités de réflexion numérique, dans lesquels, la part de la comptabilité n’est qu’une brique de l’ensemble.
Du coup, on intervient de façon plus récurrente liée à notre bonne compréhension de l’activité. On observe alors un vrai switch de notre perception. Ce qui me pousse à voir si on est uniquement là pour livrer une liasse fiscale une fois par an ou si on s’intègre au moment des décisions pour prévenir des risques en amont. Dans la bouche des clients, la différence entre le comptable et l’expert comptable.
Votre métier demain ?
De ce point de vue, l’ubérisation de notre profession est plutôt une chance. C’est pour nous l’occasion d’aller au-delà de l’image vieillotte de l’expert comptable. Elle a commencé et je pense qu’elle peut aller très vite.
Au canada, la comptabilité est gratuite en contrepartie des données qui alimentent le Big Data. Le comptable de l’ancienne économie va disparaître avec elle. On a la chance d’être à un emplacement névralgique dans l’entreprise en étant au cœur des échanges. Nous, on sait dialoguer avec une direction générale, une direction comptable et une direction informatique. Et ce n’est pas donné à tout le monde !
A ce carrefour, notre mission est de restituer les flux de données au dirigeant. Pour bien le vivre, il faut être acteur de cette mutation et non pas la subir. On a voulu m’étiqueter comme le département numérique du cabinet. Non. Mon rôle est de montrer que ce je fais, tout le monde peut le faire. Quand je prends en charge des dossiers d’industriels classiques, je me rends compte très souvent que ce qui ne va pas, c’est l’absence de digital…
Les problèmes que l’on identifie sur les entreprises digitales (mon cœur de clientèle) se répercutent sur celles qui, pendant longtemps, on pensait ne rien pouvoir apporter de plus. Le champ des possibles est gigantesque. Cette part du marché que nous avons capté de cette façon est infime.
Notre image de technicien enquiquinant et réglementaire change au profit de la vision que nous portons de l’humain. Faire du technique est accessible à tous les comptables. Le rendre accessible et compréhensible est un autre enjeu. C’est le nôtre !